Le centre national d'instruction cynophile de la gendarmerie : histoire - missions
Naissance et développement
des équipes cynophiles de la gendarmerie nationale
Le chien policier apparaît à la fin du XIXème siècle en Belgique. La première mission qui lui est confiée est la surveillance des rues et des quartiers. Le pionnier dans ce domaine est le commissaire de police en chef de la ville de Gand, Van WESEMAEL en 1899[1]. Son objectif est au départ de lutter contre les vols et les cambriolages en doublant les patrouilles dans l'espace public. Il se voit cependant opposer une fin de non-recevoir en raison des coûts prohibitifs que cela entraînerait pour le contribuable. Dès lors, il a l'idée de recourir à des chiens qui vont assumer cette fonction de veille et compléter les effectifs policiers. Ces chiens, muselés, tenus en laisse, sont lâchés à partir de minuit dans les rues pour traquer les voleurs et donner l'alerte. D'autres villes de Belgique vont très vite se lancer dans l'expérience et ces chiens veilleurs vont progressivement se substituer aux patrouilleurs absents. L'Allemagne et l'Autriche emboîteront le pas de la Belgique en organisant à leur tour des services cynophiles dans le cadre de la sécurité publique.
Le chien de patrouille émerge en France en 1907 dans plusieurs villes du Nord. Au départ, il est plutôt considéré comme une alternative au policier puisqu'il permet de diminuer de moitié les effectifs en surveillance. C'est également cette même année que le préfet LÉPINE, pour surveiller le Bois de Boulogne, crée une unité de chiens à NEUILLY, composée de Groenendaels. C'est donc essentiellement au départ un moyen de lutte contre la délinquance dans les villes. La population réagit très favorablement à ces dispositifs nouveaux.
Petit à petit, dans l'inconscient collectif, le chien apparaît logiquement comme celui qui a vocation à devenir l'auxiliaire de « tous les agents de police ». Le premier championnat du monde de chiens de police est organisé en août 1908 au vélodrome d'hiver. Ce sont essentiellement des bergers allemands et des bergers belges malinois qui composent le cheptel mais on trouve également quelques airedales, terriers et mâtins parmi les compétiteurs. D'autres races seront utilisées à partir de 1911, notamment les chiens de Brie et de Beauce. Le chien se répand dans d'autres villes comme Roubaix, Dunkerque, Tourcoing, Lille, Amiens, Rouen, Lyon, Nancy, Épinal, Pont-à-Mousson, Dijon, Reims et enfin Bordeaux en 1916.
Le chien est dès lors institutionnalisé dans sa fonction de protecteur de la société. Il n'a pas peur des malfaiteurs y compris des plus dangereux, il devient même leur pire cauchemar.
Mais le chien a également ses détracteurs, y compris parmi les couches populaires qui y voient un moyen supplémentaire de répression des foules. Il peut en effet s'attaquer aux citoyens faisant valoir leur différence ou exerçant leur droit légitime de grève. Ceux-ci sont exposés aux morsures des chiens lors des manifestations. On peut y voir, d'une certaine manière, la première participation du chien au maintien de l'ordre. Mais par ce biais, l'intervention des chiens est associée, voire assimilée aux violences policières et dénoncée par les syndicats. C'est particulièrement vrai pendant les grèves ouvrières de 1917 à Paris. Dès lors va s'ensuivre une période de recul dans l'utilisation des chiens dans le domaine policier avec un recours ponctuel de ceux-ci, et souvent de manière erratique, à la périphérie des villes ou dans les banlieues[2].
Ce n'est véritablement qu'après la seconde guerre mondiale que le chien policier va connaître un retour en grâce et que notamment la gendarmerie va mettre en place des unités canines dédiées aux missions de sécurité intérieure. En 1943, la gendarmerie décide de se doter de chiens de défense et de recherche. Pour ce faire, elle s'installe à GRAMAT dans le Causse lotois au sein de l'établissement hippique de transition du SÉGALA pour y former ses maîtres de chiens. A l’époque, la caserne est dédiée à l’élevage et à la remonte des chevaux des régiments de cavalerie. C’est d’ailleurs pour cette raison, qu’à l’occasion du 70ème anniversaire du CNICG, la fanfare de la cavalerie de la Garde Républicaine est venue à GRAMAT célébrer le passage de témoin entre le cheval et le chien. C’est aussi pour cette raison que le monument érigé au jardin du souvenir, où sont enterrés tous les chiens valeureux de la gendarmerie, à l’effigie d’une tête de chien, a été confectionné avec des fers à cheval par M. Olivier PETIT lors du 60ème anniversaire du Centre en 2005.
En 1945, lors de la dissolution des centres hippiques militaires, la gendarmerie acquiert l'emprise du SEGALA qui prend l'appellation le 19 décembre de la même année de « Chenil Central de la Gendarmerie ». Les Gramatois ont conservé depuis l’origine cette appellation de chenil à laquelle ils sont attachés.
Si le chien n’a jamais perdu son rôle originel, à savoir, renforcer les effectifs humains en termes de sécurité (I), il se révèle, au travers des différentes technicités, un auxiliaire précieux pour la gestion des crises et des menaces de notre temps (II). Il est aussi capable de s’adapter à une délinquance évolutive (III) et de participer à la lutte contre le terrorisme (IV). Enfin, comme dans tout domaine évolutif, il faut regarder l’avenir et les perspectives d’évolution de la cynotechnie en gendarmerie (V).
I. LE CHIEN EN GENDARMERIE : UN RÔLE ORIGINEL QUI NE SE DÉMENT PAS
A l’origine, le chien de police a vocation à faire gagner du temps, des effectifs tout en luttant plus efficacement contre la délinquance du quotidien et plus particulièrement les vols et les cambriolages. Son rôle de veilleur est primordial et mis en avant pour faire face à une pénurie de personnel.
En France, pour les unités de gendarmerie, le pistage constitue la discipline reine de la cynophilie[3]. Un traceur effectue un itinéraire donné en laissant parfois certains indices, objets ou vêtements abandonnés en cours de route. Après un certain délai, plusieurs heures généralement, le maître de chien est engagé avec son animal à partir d’un point de départ et se doit de retrouver la personne disparue dans les meilleurs délais. Même en situation d’entraînement, il importe que l’exercice soit au plus près de la réalité factuelle afin de placer l’équipe en situation opérationnelle. Il n’est pas rare d’ailleurs que quelques jours seulement après la fin de son stage de formation initiale, une équipe cynophile réalise son premier « positif ».
La garde d’individus et d’objets fait partie des premières technicités enseignées à GRAMAT. Dès lors progressivement, les militaires vont être renforcés sur le terrain par des chiens de « garde-patrouille » qui évoluent dans un milieu connu (une caserne, un arsenal, un lieu sensible, etc.). Le rôle de ces chiens est de se servir de toutes leurs facultés, en privilégiant cependant l’olfaction, en vue de déceler un quidam dans un milieu particulier. Ce type d’animal se différencie du chien de piste dans la mesure où il ne discrimine pas une odeur en particulier mais a vocation à détecter une présence humaine, quelle qu’elle soit.
Ces chiens sont aussi des chiens de défense, aptes au mordant et doivent être en mesure d’assurer des missions de couverture, de garde ou d’intervention au profit d’unités engagées dans des milieux hostiles ou des théâtres d’opération délicats en tout temps et en tous lieux. Le marquage de l’animal, lorsqu’il découvre un intrus, se réalise par des aboiements répétés donnant l’alerte et permettant à son maître de prendre les mesures adaptées, c’est-à-dire le contrôle, voire la neutralisation de l’individu repéré, au besoin par le mordant, ce dernier ne devant intervenir que comme l’ultime recours puis-qu’assimilé à un usage des armes.
La formation au mordant fait appel dans les premiers temps à un chiffon et à un bâton entouré d’une toile de jute ou encore à une pèlerine grossière matelassée qui va permettre de limiter les effets des morsures. A partir de 1945 arrivent les premiers costumes fabriqués spécialement pour cet usage et complétés par une grille métallique pour protéger la tête. La panoplie de l’homme d’attaque est constituée. Pour autant, ce dernier est engoncé dans une armure qui ne lui donne quasiment aucune liberté de mouvement. Lorsqu’il est à terre, il n’est pas en mesure de se relever seul. Progressivement, dans les années 1970, ces costumes vont gagner en ergonomie, s’alléger et donner plus d’aisance aux mouvements. Avec l’arrivée du kevlar, l’homme d’attaque se retrouve dans une situation aussi proche que possible de la réalité tout en étant protégé efficacement. Il devient dès lors possible de réaliser des cas concrets comparables au vécu des équipes cynophiles sur le terrain.
Dès lors, on le voit bien, certaines technicités mises en œuvre dans les dix premières années de l’existence du chenil central national perdurent encore de nos jours et conservent toute leur utilité. Un long chemin a malgré tout été parcouru depuis cette époque pour répondre à la multiplication des crises et des menaces ainsi qu’aux besoins des enquêteurs.
II. UN AUXILIAIRE PRÉCIEUX FACE AUX MULTIPLES CRISES ET MENACES
Certaines crises ou catastrophes sont à l’origine de prises de conscience et de réactions radicales pour changer le cours des choses. Le sinogramme qui exprime la notion de crise en chinois voit deux faces à cette même pièce : un danger bien sûr, car une crise n’est jamais un phénomène anodin, mais aussi une opportunité, dans la mesure où celle-ci nécessite des mesures appropriées qui vont prendre en compte l’avenir[4]. La cynotechnie policière s’intéresse à tous les phénomènes d’origine naturelle ou anthropique en vue d’y apporter des réponses opérationnelles ponctuelles ou itératives.
Un domaine où s’exprime particulièrement cette gestion de crise est celui de la montagne, univers parfois hostile à l’homme, notamment en hiver et au printemps, avec les risques objectifs que représentent les avalanches. Avec le développement des sports d’hiver et la fréquentation de plus en plus assidue des différents massifs alpins et pyrénéens par des sportifs de tous niveaux et de toutes conditions, la gendarmerie va réfléchir à améliorer la sécurité en recourant à une variété de chiens de piste spécialisés dans la recherche en avalanche. Déjà en 1956, le gendarme GROS, de la brigade de Chamonix, décide de former un chien d’avalanche, Max IV, qui sera le premier chien du genre pour la gendarmerie. Le 31 mars 1958, Max IV s’illustrera en découvrant un skieur enseveli sous une avalanche dans le massif du Mont-Blanc. Une circulaire du 21 août 1958 charge officiellement la gendarmerie et les compagnies républicaines de sécurité (CRS) de la mission de secours en montagne en collaboration avec les sociétés de secours. Pour autant, il faudra attendre plus tard pour qu’une prise de conscience intervienne dans ce domaine et que des mesures à la hauteur des enjeux soient effectivement prises[5]. En 1967, le gendarme DELORT de Chamonix est « officiellement » autorisé à participer à un stage de formation en Suisse.
Le 10 février 1970, vers 8 heures, une avalanche de poudreuse dévale de plus de 2.900 mètres d’altitude sur un chalet de l’UCPA[6] implanté à Val d’Isère. 194 personnes sont présentes dans le bâtiment à ce moment-là. Les vitres explosent sous la violence du choc et la pression de la neige. 39 jeunes vont trouver la mort et 37 sont blessés. La plupart des victimes étaient dans la salle à manger au moment de l’impact. Il s’agit de la plus grosse catastrophe enregistrée dans ce domaine depuis 200 ans. C’est un traumatisme dans la vallée et dans le pays tout entier. C’est ce drame qui contribuera au processus d’engagement de l’État dans les secours en montagne l’hiver. La gendarmerie prend, de son côté, la décision de former des équipes cynophiles de recherche en avalanche. Après les balbutiements décrits supra, une véritable organisation des secours est mise sur pied.
Les Suisses[7], quant à eux, sont déjà bien au fait des techniques de recherche sous la neige et c’est tout naturellement vers eux que GRAMAT se tourne pour former ses premiers maîtres de chiens.
A partir de l’hiver 1969 – 1970 et jusqu’en 1972, les premiers maîtres de chiens du centre de formation de la gendarmerie (CFMCG) vont se former à Verbier dans le Valais suisse pour la recherche en avalanche.
Le 18 février 1972, la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN) décide de former ses propres équipes cynophiles de recherche en avalanche. La première formation du genre se déroule à Montgenèvre (05) du 8 au 13 janvier 1973. Elle est officialisée par la DGGN en 1975. Parmi les pionniers, on trouve les gendarmes Jean-Marie THOMAS, Lucien SEMIOND, Jean-Bernard SOUBIRON et Clément MASOUNAVE. Les premiers chiens s’appellent Bogo, Zenno, Timo, Fido, Olex, Claus, Sam 2, Bingo ou encore Flouk. Ils vont avoir la charge d’assurer les secours dans les Alpes et les Pyrénées et sont pré-positionnés dans des unités de montagne.
En 1995, l’intervention du gendarme DUNAND, Daniel et du chien berger allemand Embu permet de sauver la vie d’un montagnard italien enseveli dans une coulée sous la Tête de l’Enclause à 2600 mètres d’altitude dans la région de LARCHE (05). Ce militaire, avec ses chiens successifs, a sans doute le résultat le plus significatif dans la mesure où au moins trois personnes ont eu la vie sauve du fait de son intervention. Ainsi, un sondage minutieux réalisé par une vingtaine de pisteurs expérimentés demande vingt heures de travail pour obtenir un résultat de 100 %. Un chien, pour aboutir à cette même efficacité, n’a besoin que de deux heures pour traiter une surface d’avalanche d’un hectare[8]. Ces résultats montrent aussi les progrès réalisés dans les secours et notamment la rapidité d’intervention augmentée grâce au recours à l’hélicoptère. La perspective de survie au-delà d’un quart d’heure pour une personne ensevelie est en effet statistiquement nulle. Il convient dès lors que les secours se coordonnent parfaitement pour intervenir dans les meilleurs délais. L’instinct et la technologie se révèlent, à cette occasion, complémentaires et utiles dans la gestion de la sécurité publique.
Aujourd’hui, 25 équipes cynophiles de recherche en avalanche de la gendarmerie sont réparties sur l’ensemble des massifs montagneux français. Depuis 2016, elles sont formées concomitamment par les CRS à CHAMONIX dans le cadre d’une mutualisation et par le CNICG de GRAMAT qui a transféré son terrain de manœuvre des Alpes dans les Pyrénées, à BARÈGES, depuis janvier 2017.
III. UN AUXILIAIRE DE POLICE CAPABLE DE S’ADAPTER AUX ÉVOLUTIONS DE LA DÉLINQUANCE...
A l’instar des chiens d’avalanche, d’autres expérimentations sont conduites au profit des maîtres-nageurs sauveteurs de la gendarmerie en 1972. Deux « Terre-neuve », Baron et Jayet sont formés pour secourir les personnes en milieu aquatique[9]. L’efficacité de ces chiens ne sera pas démontrée et, en l’absence de résultats positifs, leur technicité sera abandonnée et les animaux réformés.
Le développement des conduites toxicomaniaques en France conduit les dresseurs-instructeurs à travailler sur la recherche de stupéfiants et à « créancer »[10] les chiens sur les principales drogues présentes sur le territoire. Le premier chien de la spécialité est un labrador et s’appelle Valam. C’est lui qui sert de référence pour construire les formations développées à partir de 1975 avec un premier stage à six chiens. Gramat formera les premiers chiens stupéfiants des douanes en 1981. Ce partenariat est d’ailleurs toujours d’actualité dans la mesure où en octobre 2015, les services des douanes sont venus échanger avec le CNICG sur la recherche des billets de banque (Cash dogs).
Le GIGN, de son côté, s’intéresse à l’utilisation des chiens pour renforcer l’efficacité des équipes d’intervention et les premiers chiens sont formés en 1976. Il s’agit des bergers allemands Krex et Jarry qui inaugurent la technicité « assaut ». Le 3 novembre 1982, deux chiens bergers allemands sont abattus par un forcené à DEYVILLERS dans les Vosges. Un maître de chien du GIGN, le MDL/C PRIANON sera tué en service le 23 juin 1997.
En 1988, la menace terroriste s’amplifie au plan international et la sécurité des transports aériens devient une priorité nationale. C’est dans ces conditions que les premiers chiens explosifs sont formés à Gramat dans le cadre du stage 97 qui se déroule du 1er février au 29 avril 1988. Ces chiens sont appelés à rechercher toute matière explosive dans un bâtiment ou un véhicule à l’exception des personnes.
2002 marque un tournant pour le centre national d’instruction cynophile de la gendarmerie qui porte cette nouvelle appellation depuis 1996[11] et qui voit la naissance du groupe national d’investigation cynophile (GNIC)[12] le 24 janvier. Cette création marque l’originalité du CNICG qui œuvre au sein des écoles de la gendarmerie nationale et qui devient à la fois un organe de formation mais aussi une unité opérationnelle au travers des missions confiées à ce groupe dans le domaine des technicités rares[13].
C’est aussi une période très riche en expérimentations en tous genres qui se développent à la faveur des besoins des enquêteurs.
C’est ainsi que sont formées les premières équipes cynophiles de recherche de restes humains. Les deux premiers maîtres de chiens formés dans la technicité sont l’adjudant GALLI, aujourd’hui décédé, et le gendarme TESTARD[14]. Un berger allemand, Nico et un berger belge malinois, Ouragan, dit Tonix, sont les premiers à remplir des missions de ce nouveau genre. C’est d’autant plus remarquable que naturellement, l’odeur du cadavre a tendance à repousser les chiens. Il est très difficile de trouver des animaux qui s’accommodent de cette odeur et acceptent d’en faire un objet de recherche. Pour autant, et les dernières missions opérationnelles conduites dans ce domaine en attestent, ce type de chien est de nature à retrouver très rapidement le corps d’une personne, généralement en quelques minutes, et évite ainsi des déploiements exagérés de forces et le recours à des moyens de recherche dispendieux. La découverte en février 2018, par l’équipe composée du MDC BRAEMS et du springer spaniel HUTCH, du corps de la petite Maëlys et les restes du caporal Arthur NOYER en sont une illustration patente.
C’est aussi à partir de 2002 que sont mis en œuvre les premiers chiens d’intervention[15] dont l’objectif est de déceler la présence humaine dans une zone inconnue de l’animal en faisant appel si nécessaire au mordant.
Au regard des difficultés rencontrées lors du traitement de la problématique des migrants dans le secteur de Calais, les chiens d’intervention auraient toute leur légitimité à travailler aux côtés des forces de l’ordre pour contrôler certaines zones ou véhicules qui peuvent échapper à la vigilance des hommes et qui génèrent parfois des drames humains, notamment lorsque ces personnes embarquent sur toutes sortes de véhicules en défiant les règles de sécurité, pour un eldorado hypothétique qui se solde souvent par une fin tragique.
Aujourd’hui, le nombre de ces équipes cynophiles d’intervention s’élève tout juste à cinq pour la gendarmerie au niveau national. Leur formation au mordant n’incite pas non plus à les utiliser dans ce cadre dans la mesure où il ne s’agit pas de mettre encore plus en difficulté des gens déjà en situation de déréliction.
Pour autant, si la situation d’une immigration massive devait perdurer comme on le constate déjà depuis de nombreuses années, un chien dressé uniquement à la détection de personnes pourrait se révéler une aide précieuse. C’est aux décideurs locaux d’en exprimer le besoin. Mais pour autant, la formation de telles équipes est d’ores et déjà envisageable au plan technique.
Une nouvelle réflexion est engagée dans le cadre de l’emploi du chien au maintien de l’ordre à la suite des événements survenus dernièrement à Notre Dame des Landes où de nombreux gendarmes ont été blessés. L’emploi ponctuel du chien de défense se révèle en effet particulièrement dissuasif à l’égard d’individus violents et déterminés. Les missions qui pourraient être confiées aux équipes cynophiles relèveraient davantage du flanc-garde et de la sûreté arrière ainsi que de la garde des cantonnements. Le chien retrouverait au travers de ces missions son rôle protecteur où les technicités de garde-patrouille et d’intervention ont toute leur utilité.
En 2003, M. Jérôme DEVEZ, ouvrier de l’État, dresseur-instructeur, met au point une nouvelle technique consistant à faire mémoriser par un chien l’odeur des armes et des munitions. Le travail du chien se fait par l’intermédiaire des poudres brûlées, des munitions actives et des poudres pyroxylées. Depuis la mise en œuvre de l’état d’urgence en France et de la loi subséquente renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, cette technicité a trouvé un regain d’intérêt et les statistiques de saisies d’armes et de munitions ont évolué de manière significative à l’aune des visites domiciliaires conduites dans ce cadre.
A partir de cette date sont également formés les chiens de recherche de traces de sang humain. Ces chiens, dont la technicité est limitée aux seuls animaux du groupe national d’investigation cynophile (GNIC), sont capables de déceler la présence de sang sur une scène de crime, y compris lorsque l’auteur a camouflé son forfait à l’aide de produits de nettoyage ou de solvants. Une fois que le chien effectue le marquage de l’emplacement où le sang a été répandu, il suffit ensuite aux équipes de techniciens en identification criminelle (TIC) d’utiliser les révélateurs ad hoc[16] pour matérialiser l’étendue des traces. Le chien a vocation à déceler les traces de sang frais, ancien ou altéré, ainsi que celles à base de sang pur ou dilué. Encore une fois, cette façon de procéder va permettre de gagner du temps et d’économiser les révélateurs chimiques, par ailleurs coûteux, pour les appliquer non plus à l’aveugle mais sur les seules zones concernées.
En 2004-2005, MM. BIESUZ, LACOSTE et le gendarme BERNARD expérimentent de leur côté une nouvelle race de chien de piste, le « Bloodhound », plus connu sous le nom de Saint-Hubert. Cet animal dispose de qualités olfactives bien supérieures à la plupart de ses congénères. Elles lui permettent de remonter une piste entre 96 heures et jusqu’à une semaine après la disparition d’une personne en fonction des conditions climatiques et du terrain où se déroulent les investigations. La taille du cornet nasal dépend, en effet, de la longueur du museau du chien. Quand un chien traditionnel dispose de deux cents millions de cellules olfactives, ce qui lui donne déjà des capacités de 1.000 à 10.000 fois supérieures à celles de l’homme, le Saint-Hubert en possède trois cents millions[17].
Dans la même période, les cynotechniciens s’intéressent à la détection de produits incendiaires. L’actualité fait en effet état de nombreux départs de feux dans le massif méditerranéen et il s’agit pour les chiens de déceler sur une zone incendiée la présence d’accélérateurs comme l’essence, le gas-oil, le white spirit, etc. L’intérêt de cet animal est encore une fois sa capacité à repérer les endroits où ont eu lieu les départs de feu, ce qui facilite ensuite le travail des techniciens en identification criminelle (TIC) pour effectuer les prélèvements et les analyses idoines.
Les 12 et 13 novembre 2008, l’adjudant GELPI, dresseur-instructeur au CNICG et l’adjudant MAUFROID, correspondant gendarmerie auprès de l’office central de répression de la fausse monnaie, vont s’intéresser à la mémorisation par les chiens de l’odeur des billets de banque et tenter de déterminer sur quels produits les chiens marquent le plus facilement[18]. L’expérimentation est conduite avec différents composants : des encres, bien sûr, mais aussi du papier billet vierge, de vrais billets réduits à l’état de confettis ainsi que de vrais-faux billets de la Banque de France fabriqués spécialement pour l’entraînement des chiens.
Les chiens se montrent beaucoup plus réceptifs sur certains produits mais 75 % d’entre eux marquent dès le premier passage sur des pots disposés de manière linéaire ou circulaire et dans lesquels ont été positionnées de façon aléatoire les différentes matières composant les billets. Depuis cette expérimentation, 181 équipes cynophiles ont été formées à la détection de billets de banque. Il s’agit souvent d’équipes cynophiles disposant de la qualification « stupéfiants » ou « stupéfiants/armes et munitions ». Dès lors avec cette technicité supplémentaire, la gendarmerie dispose de chiens qualifiés SAMBi (« stupéfiants/armes et munitions/billets de banque). Ce triptyque, stupéfiant, armes et munitions et billets de banque, bien connu des enquêteurs d’unités de recherches, permet de mettre en exergue les linéaments d’un réseau de criminalité organisée.
Les sommes découvertes grâce à l’engagement des équipes cynophiles sont d’ailleurs passées de 1.250.000 € en 2009 à 19.700.000 € en 2015 et 23.833.000 € en 2016. 2014 a constitué une année emblématique avec des saisies record pour un montant total de 24.600.000 €. Qui peut donc soutenir en l’espèce que l’argent n’a pas d’odeur ?
IV. ...ET EN MESURE DE FAIRE FACE À LA MENACE TERRORISTE
En octobre 2014, le CNICG entame une expérimentation très particulière touchant à la détection des explosifs sur les personnes en mouvement. A la suite des attentats terroristes de Londres et Madrid, le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) va mettre en place un groupe interministériel visant à coordonner les actions de nature à apporter une réponse à la menace d’attentats utilisant des explosifs dans les transports de masse. La direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM) identifie l’usage de la capacité olfactive canine comme un moyen intéressant pour la détection des explosifs et va confier au CNICG de GRAMAT le soin de conduire un projet expérimental de formation et de déploiement d’une équipe cynophile capable de détecter les explosifs sur les personnes en mouvement et plus spécifiquement dans les transports de masse[19].
Cette expérimentation va être conduite en deux phases échelonnées du dernier trimestre 2014 au premier semestre 2015 par M. Jérôme DEVEZ en utilisant deux chiens, l’un expérimenté (Gringo) et l’autre vierge de tout dressage (Ibis).
En quelques mois, ces deux chiens vont montrer leur capacité à détecter des quantités d’explosifs sur des personnes en mouvement correspondant à celles transportées par les bombes humaines. Il s’agit d’une technicité particulièrement fine demandant des compétences éprouvées dans le domaine du dressage et nécessitant également des chiens triés sur le volet, très proches de l’homme et disposant d’une grande stabilité comportementale.
L’actualité traumatisante de l’année 2015 incitera également les cynotechniciens à former les chiens sur les nouvelles menaces identifiées comme le TATP[20] utilisé par les terroristes de l’état islamique (EI) ou les peroxydes organiques comme le HMTD[21].
Le 16 octobre 2015, les résultats de cette expérimentation sont présentés à M. Bernard CAZENEUVE, alors ministre de l’intérieur, et au directeur général de la gendarmerie nationale de l’époque, le général d’armée Denis FAVIER. Dès lors, cette nouvelle technicité est inscrite au calendrier des actions de formation de la gendarmerie nationale. Onze équipes cynophiles sont formées au cours du premier semestre 2016 et participent avec le succès que l’on connaît à la sécurisation de l’Euro 2016. Certaines ont même été engagées sur « Hand-Ball 2017 », les internationaux de Roland GARROS ou encore sur la protection de l’aéroport d’Orly à la suite de la tentative d’attentat perpétrée par un individu radicalisé au mois de mars 2017. De nouvelles formations sont en cours en 2018 pour atteindre l’objectif de 30 équipes cynophiles d’ici à la fin de l’année.
Ces équipes, chargées de la détection, n’ont pas vocation bien évidemment à opérer seules. Elles interviennent au sein d’un groupe de recherche composé d’un élément d’appui, d’un élément de protection commandé par un chef de dispositif. Ces militaires, issus d’un PSIG[22] Sabre ou d’un peloton d’intervention (PI), sont dotés d’un armement d’épaule avec aide à la visée et d’une protection balistique complétée de moyens de communication permettant des échanges instantanés. Un système de vidéo-protection filme l’ensemble des opérations et des incidents traités pendant toute la durée du service[23].
Un séminaire international, le premier du genre pour le CNICG, s’est déroulé à GRAMAT du 27 au 28 juin 2017 et pour la dernière journée du 29 juin au centre national d’entraînement des forces de la gendarmerie (CNEFG) à SAINT-ASTIER (24). Au cours de cette dernière journée, les équipes cynophiles REXPEMO[24] ont été intégrées dans un exercice de synthèse ayant pour thème les tueries de masse. Ce séminaire, qui a réuni treize nations européennes et étrangères – particulièrement concernées par la menace terroriste – ainsi que de nombreux participants des autres administrations utilisant des chiens de travail, a rencontré un grand succès et permis de déboucher sur de nouvelles perspectives de partenariat, notamment avec le commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEAEA). De telles avancées confirment la pertinence de l’ancrage du CNICG dans son environnement géographique et économique local.
V. LES NOUVELLES PERSPECTIVES DE TRAVAIL
Elles concernent pour l’heure essentiellement l’olfaction criminelle qui consiste pour un chien à faire des rapprochements d’odeurs entre celles prélevées sur une scène de crime et celle d’un suspect. Le travail du chien va consister à reconstituer l’itinéraire criminel d’un auteur, d’un suspect, ou encore celui d’une victime. C’est aussi le moyen parfois de retrouver des objets ou des indices en relation avec une affaire criminelle.
Enfin, on procède parfois à un tapissage olfactif[25] qui consiste à inclure un suspect au sein d’un groupe d’individus et de vérifier si l’odeur prélevée sur une scène de crime, et soumise au chien comme odeur de référence, lui permet de retrouver le suspect parmi le groupe de personnes. Cette expérimentation reste encore à approfondir en relation avec l’institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGN) qui travaille sur un projet de signature chimique.
Si les techniques se sont beaucoup développées au cours de ces dernières années dans le domaine cynophile, il n’en demeure pas moins que les constantes persistent et que le chien est toujours un moyen de gagner du temps, des effectifs, de l’efficacité, d’économiser de la peine et des moyens et parfois, on l’oublie trop souvent, de sauver des vies humaines. Il y a tout juste un an, dans le massif pyrénéen, le chien Rex et son maître, l’adjudant BONZOMS, moniteur de recherche en avalanche du peloton de gendarmerie de haute montagne (PGHM) de Pierrefitte-Nestalas (65), retrouvaient un randonneur de 72 ans, vivant, disparu depuis 48 heures au pic de la Serre dans le massif du Pibeste.
La seule contrepartie pour qu’il soit efficace est d’en prendre soin, de s’occuper de lui, de l’entraîner et de le rendre fanatique au jeu puisque toute son efficacité repose en fait sur son incroyable propension à jouer et l’affect qu’il développe à l’égard de son maître.
Car ne nous y trompons pas, il s’agit bien d’un travail d’équipe. Cette complicité entre l’homme et le chien demeure essentielle pour progresser, que ce soit dans le domaine du pistage ou celui de la recherche. C’est parfois l’homme qui, par son expérience, rattrape son animal, lorsqu’il se déconcentre, pour le remettre sur la piste ou l’inciter à vérifier toutes les caches qu’il n’a pas explorées et ce, quelle que soit sa technicité. Mais c’est aussi parfois l’animal, qui, par une désobéissance positive, comme on a pu le voir en matière de recherche en avalanche[26], oblige son maître à suivre son instinct et à faire confiance à son flair. Le chien, comme son maître, dispose d’un matricule militaire et peut voir ses mérites récompensés par une lettre de félicitation, voire par une décoration.
Cette osmose entre le maître et le chien, on l’assimile parfois à une forme d’anthropomorphisme, défaut qu’il convient de corriger chez le jeune maître de chien en formation pour qu’il reste dans une relation de travail avec son animal. Pour autant, ce n’est pas toujours aussi simple tant le chien voue à l’homme une dévotion hors du commun qui le pousse parfois à dépasser ses propres limites et démontrer un comportement héroïque tout comme un militaire conscient de son statut et de ses devoirs. C’est un peu le reflet de ce qu’exprime Victor Hugo quand il s’exclame : « Regarde ton chien dans les yeux et tu ne pourras pas affirmer qu’il n’a pas d’âme ».
Colonel (R) Dominique DALIER
Ancien commandant du centre national
d’instruction cynophile de la gendarmerie
Docteur en science politique
[1]Sophie LICARI, Les chiens de police (première partie), « Histoire de l'utilisation canine dans les administrations », centrale canine magazine, n° 174, mars-avril 2015.
[2] Ibidem.
[3] 1945-2005, Centre national d’instruction cynophile de la gendarmerie, 60ème anniversaire, pp 114-115.
[4] Carole Dautun, « Du terrain du risque au terrain de la crise, fondamentaux à l’usage des organisations », Cahier de la sécurité, n° 10, Les crises collectives au XXIème siècle, Quel constat ? Quelles réponses ? INHES, Paris, octobre-décembre 2009, p. 20.
[5] Gendarmerie, chiens d’avalanche, 1973 – 2013 – 40 ans de formation.
[6] L’Union nationale des Centres sportifs de Plein Air.
[7] Au cours de l’hiver 1937-38, dix-huit jeunes traversent un couloir d’avalanche à proximité du Schilthörn dans l’Oberland bernois et sont emportés par une coulée de neige. Les secouristes prévenus rapidement, interviennent sur zone et sauvent la presque totalité des jeunes gens. Seul, l’un d’entre eux manque à l’appel. Un chien bâtard accompagne la colonne de secours, il s’appelle « Moritzli » et le responsable des secours va observer son comportement atypique. Ce dernier fouille et creuse hors de la zone de recherche, grogne et fait des va-et-vient entre son lieu d’intérêt et les secouristes. Les hommes se mettent en devoir de fouiller avec leurs sondes à l’endroit où le chien marque de l’intérêt. Une sonde touche le corps d’un jeune homme qui est inanimé. Les secouristes pratiquent la respiration artificielle et parviennent à le ranimer. Moritzli vient de lui sauver la vie. Quelques deux ans plus tard, c’est un spécialiste des chiens, Ferdinand Smutz qui évoque cette affaire auprès du Général Guisan. Les militaires décident alors de former des chiens d’avalanche. La technicité est née. A la suite de Ferdinand Smutz, on peut citer les noms de William Wittmer, Melchior Schild, Ruedi Beglinger et Toni Grab parmi les figures suisses qui ont marqué la formation dans le domaine de la recherche en avalanche.
[8] Encyclopédie du chien, Dominique GRANJEAN, Franck HAYMANN et al., Editions Royal Canin, 2010, p. 754.
[9] Encyclopédie de la gendarmerie nationale, volume III, 1983 à aujourd’hui, rédaction collective, éditions SPE – Barthélémy, 2ème trimestre 2006, p 396.
[10] Terme technique utilisé par les cynotechniciens et consistant à faire mémoriser une matière par un animal.
[11] Ibid., pp 396-399.
[12] Décision n° 644 du 24 janvier 2002 DEF/GEND/OE/EMP/ORG portant création du Groupe National d’Investigation Cynophile le 1er février 2002 implanté à GRAMAT (46).
[13] Recherche de restes humains, de traces de sang, de produits accélérateurs d’incendie, chien de piste Saint-Hubert, recherche d’explosifs et recherche d’explosifs sur personne en mouvement (REXPEMO).
[14] Aujourd’hui adjudant-chef.
[15] Circulaire n° 9000 DEF/GEND du 25 novembre 2002.
[16] Luminol ou bluestar pour l’essentiel.
[17] Stanley Coren, « Secrets de chiens », Editions Payot & Rivages, Paris, 2013, pp 36-40.
[18] Document interne de travail élaboré par l’adjudant GELPI, dresseur-instructeur du CNICG et l’adjudant MAUFROID, correspondant gendarmerie de l’office central de répression de la fausse monnaie.
[19] Rapport interne en date du 3 décembre 2014 et du 4 mai 2015.
[20] Triacétone – triperoxyde. Il s’agit d’un explosif primaire particulièrement instable.
[21] Hexamethylène triperoxyde diamine. Produit hautement explosif.
[22]Peloton de surveillance et d’intervention de la gendarmerie.
[23]Circulaire n° 46501 GEND/DOE/SDSPSR/BSP/DR du 6 juin 2016 relative à la mise en œuvre de dispositifs de recherche d’explosifs sur personnes en mouvement avec utilisation de moyens cynophiles.
[24] REXPEMO : Recherche d’EXplosif sur Personne En Mouvement.
[25] Line-up.
[26] Cf. note de bas de page, le cas Suisse, supra.
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